Le transport maritime : une histoire de parallélépipèdes en métal.

Que l'on en soit conscient ou pas, la mondialisation est partout dans nos usages : depuis nos vêtements fabriqués en Chine au café sud-américain, nous consommons chaque jour des produits qui ont probablement plus voyagé en quelques jours que notre propre personne en une vie entière. On parle ici de plusieurs milliers de kilomètres effectués par ces marchandises sans que cela n'interroge le consommateur final. 

Pour cause, le transport maritime est pleinement intégré dans les processus de production et repose sur une organisation logistique lourde qui permet de couvrir aujourd'hui 90% du volume du commerce mondial. Il est ainsi difficile d'imaginer un monde sans transport maritime pour répondre à nos besoins, ou plutôt envies, de consommation. Pourtant, force est de constater que la croissance des échanges par voie maritime n'est pas sans impact sur l'environnement. L'OMI (organisation maritime internationale) a ainsi fixé au secteur l’obligation d'atteindre la neutralité carbone pour 2050

 

Introduction 

Le transport maritime concernait essentiellement les matières premières depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux deux chocs pétroliers. La mondialisation signera ensuite l'essor du transport de produits manufacturés, on observe effectivement une augmentation de près d'un tiers de la consommation de biens dans les pays européens entre 1990 et 2002. Cet essor a été largement permis par l'invention du conteneur par Malcolm McLean en 1956. L'adoption progressive de ce parallélépipède en métal à partir des années 80 va signer la standardisation des procédés de transport maritime. Pour répondre à l’intensification de ce type de trafic, des navires spécialisés, appelés porte-conteneurs, ont vu le jour dès les années 70. Conçus pour ne transporter que des conteneurs et équipés de rails, ces navires ont permis l'optimisation des opérations de chargement et déchargement dans les ports. Les volumes transportés ont ainsi significativement augmenté au cours des années 90 où l'on recense 4 000 millions de tonnes de marchandises transportées par bateau. Des chiffres déjà vertigineux mais qui semblent dérisoires face aux 11 000 millions de tonnes de marchandises transportées en 2021. 


Quel impact ? 

Rapporté à la tonne transportée, l’impact carbone d’un porte-conteneur est presque négligeable. Cependant, le transport maritime est responsable de 3% des émissions globales de CO2 en 2023 et génère des impacts négatifs tout au long du cycle de vie des navires. 

Commençons par l’impact environnemental négatif de la construction des navires. D’une part, l'extraction, l'acheminement et la transformation des matériaux sur les chantiers navals sont des étapes très polluantes. D’autre part, la macération des produits chimiques et peintures biocides (résidus de cuivre, plomb, zinc) qui enduisent les coques des navires pour lutter contre le biofouling dégradent la qualité de l’air et représentent un fort danger pour les ouvriers qui travaillent au contact des cales des chantiers. 

Le second facteur d’impact est l’utilisation massive du fioul lourd, appelé “sang impur de la globalisation” par certains économistes. Le fioul lourd est un résidu visqueux du pétrole, difficile à brûler et considéré comme le carburant le plus polluant qui soit. Sa combustion provoque en effet une émission massive de gaz à effet de serre (CO₂, méthane, protoxyde d’azote) mais également le rejet de particules fines dans l’atmosphère, notamment de particules de soufre très dangereuses pour la santé humaine. La combustion du fioul lourd a non seulement des effets nocifs sur la santé humaine mais aussi sur la biodiversité marine et terrestre qui souffre du déversement d'hydrocarbures, de déchets plastiques et de collisions avec les navires. Le rejet d'eau de ballast des navires, qui contient des organismes marins et des polluants, peut également perturber les écosystèmes locaux et contribuer à la propagation d'espèces invasives et à la pollution de l'eau. 

N’oublions pas également  la fin de vie des bateaux. Malgré une durée de vie de plusieurs dizaines d'années, certains navires vieillissent et nécessitent d'être échoués dans des chantiers de déconstruction. Il y a un triple impact ici : (i) le transport du bateau jusqu’au chantier provoque de nouvelles émissions carbone, (ii) les opérations de démantèlement et recyclage ne sont pas neutres pour la santé des ouvriers et les écosystèmes naturels, (iii) tous les navires ne sont pas revalorisés ou recyclés et finissent par représenter des masses polluantes supplémentaires pour les régions d’échouage. Les épaves en décomposition qui s’entassent dans les cimetières le long des côtes africaines et asiatiques dégradent davantage la biodiversité et la qualité de vie des populations locales .

Enfin, les conditions de travail des marins ne sont pas toujours satisfaisantes surtout sur les nombreux bateaux naviguant sous pavillon de complaisance.


Quelles solutions ?

Le transport maritime est un secteur industriel clef à transformer pour avancer dans la nécessaire transition écologique et sociale. La dynamique d’innovation y est donc très forte. Différents acteurs émergent afin de répondre aux objectifs de neutralité carbone fixés par l’OMI. Nous faisons ici le choix de nous intéresser aux moyens de propulsion alternatifs. 

Revenons ici aux fondamentaux qui ont permis l’avènement du transport maritime : la voile et le vent. Loin de symboliser un retour en arrière, la propulsion à assistance vélique représente une innovation majeure pour l’avenir du secteur. Ce type de propulsion peut prendre la forme d’une voile attachée à un pont, on parle alors de système en pontée. La voile peut être plus ou moins rigide et épaisse. Il existe un autre système de propulsion vélique, le système aérien. Le bateau est relié à un cerf-volant, ou kite (à caissons ou boudins) par un câble et peut être piloté depuis le pont par un système connecté. Couplée à un moteur thermique, l'utilisation de la voile dans les zones venteuses permettrait une réduction de la consommation de carburant d’au moins 20%. Malheureusement cette innovation ne s’applique qu’à des bateaux de taille limitée. Les plus gros navires à voile ne peuvent en effet transporter que 1000 tonnes de marchandises, soit 200 fois moins que les porte-conteneurs. 


Les technologies de propulsion par moteur électrique se sont également développées. Tout comme pour les voitures, cette technologie repose sur l’utilisation de nombreuses batteries Lithium-Ion pouvant être stockées dans les cales des navires ou bien dans des conteneurs qui seront remplacés pendant les transits par d’autres conteneurs de batteries préalablement chargés au port. Les navires à propulsion électrique pourraient réduire de 94% les émissions de gaz à effet de serre par km parcouru par rapport à un navire à propulsion thermique. Cependant la capacité maximale des batteries reste limitée et les systèmes de recharge disponibles peu nombreux, et encore faut-il qu’ils utilisent de l’électricité décarbonée. Le retro-fitting est possible (convertir la flotte thermique en flotte électrique) mais représente un investissement significatif.

Une troisième piste d’innovation est l’utilisation de carburants alternatifs. On recense ainsi le Gaz Naturel Liquéfié, le Méthanol vert et l’Ammoniac comme trois des principaux carburants alternatifs au fioul lourd. 

Le GNL n’est pas un carburant vert à proprement parler néanmoins il permet la suppression de 91 % des émissions de particules fines, de 99 % des émissions d’oxydes de soufre et 92 % des émissions d’oxydes d’azote. Le risque majeur associé à l’utilisation de GNL sont les fuites de méthane (80 fois plus négatives que le  CO2  et très difficiles à détecter). 

Le Méthanol vert, produit à partir de biomasse ou de carbone et d’hydrogène capturés grâce à des énergies renouvelables, peut réduire les émissions de  CO2 des porte-conteneurs de 60 à 95 % par rapport aux carburants conventionnels. Cependant la teneur énergétique du méthanol est faible. Son utilisation doit se coupler à des activités de récupération énergétique et à l’ajout d’une pile à combustible afin de compléter la production d’énergie à bord. 

Enfin l’Ammoniac, produit à partir d’hydrogène et d’azote, est un excellent vecteur d’énergie et dispose d’un bon rendement énergétique. Lorsqu’il est produit à partir d’un mix énergétique propre, l’ammoniac peut contribuer à réduire les émissions CO2 de 10% à 20% du secteur maritime. Il peut être stocké plus facilement que les autres types de carburant mais son utilisation suppose la réadaptation des engins moteurs. Le recours à l’ammoniac pose essentiellement des problèmes de sécurité et nécessite donc l’installation de réservoirs de stockage spécifiques afin d’éviter sa dispersion dans les cales des moteurs. 


Où en est-on en termes de capacité de production ?

Aujourd’hui, la taille des infrastructures de production de méthanol vert et d’ammoniac vert est encore très insuffisante par rapport aux besoins en carburant du secteur maritime. Cette situation fait du méthanol vert un carburant rare et au moins deux fois plus cher que le méthanol conventionnel. En outre, sa production est souvent éloignée des centres de soutage, où les navires se ravitaillent, ce qui entraîne des coûts logistiques et des émissions supplémentaires. La disponibilité de l’ammoniac est, quant à elle, davantage garantie car les technologies de synthèse nécessaires à sa production sont déjà matures. L’ammoniac serait ainsi 15 % moins cher que le méthanol à long terme. La taille des usines de production de carburants bas carbone devrait, néanmoins, augmenter pour atteindre les objectifs de neutralité. La capacité de production annuelle des usines de méthanol en cours de construction devrait passer de 4 000-10 000 tonnes à 50 000 - 25 0000 tonnes sur les dix prochaines années. Pour ce qui est de l’ammoniac, sa production devrait être couverte par la modernisation des usines existantes et par la construction de nouvelles usines couplées  à l’amélioration de l’efficacité des processus d'électrolyse.


Quel coût ? Pour qui ? 

Selon la taille du navire, son rendement énergétique et la distance parcourue, le carburant peut représenter jusqu’à deux tiers des dépenses totales des armateurs. Le recours à ces carburants verts pourrait in fine majorer les dépenses annuelles de carburant de 70 à 100 % par rapport aux niveaux actuels et engendrer des coûts logistiques supplémentaires. Côté producteurs, la construction des infrastructures de production, de distribution et de soutage nécessaires pour assurer les approvisionnements pourrait ainsi coûter 28 à 90  milliards de dollars par an. Cette hausse des coûts aura un impact inévitable sur les tarifs appliqués aux clients des transporteurs. On peut d'ores et déjà anticiper une hausse du prix final des biens de consommation. Le secteur maritime est donc face à un  dilemme. D’une part, les armateurs n’osent pas renouveler leur flotte par peur de ne pas pouvoir répondre à leurs besoins en approvisionnement en carburant alternatif. D’autre part, les producteurs n’ont pas d’incentives à lancer la construction de nouvelles usines étant donné que la demande des armateurs pour ces carburants est restreinte. Certains armateurs (Maersk et CMA CGM) ont cependant décidé de lancer leur propre production de carburants dits verts afin d’assurer l’approvisionnement de leur flotte. 


Une solution de transition ? 

Afin de contourner l’écueil de l’offre de carburants décarbonés, les constructeurs peuvent opter pour des moteurs dits dual fuel. Il s’agit de moteurs qui allient la combustion de fioul et de carburants alternatifs (gaz de pétrole liquéfié, gaz naturel liquéfié, méthanol, ammoniac). Ce type de moteur permet de réduire la consommation de fioul lourd et représente une solution de transition qui permettrait d’injecter progressivement l’utilisation de carburants alternatifs afin de remplacer le fioul lourd à long terme. Ceci, le temps que la production se massifie et que le coût des carburants alternatifs chute. Cependant, la transformation en énergie motrice via ce type de moteur se fait encore par combustion fossile et n’en fait pas une véritable solution de long terme. 


Conclusion 

Aujourd’hui, malgré de nombreuses pistes et un fort intérêt pour les carburants alternatifs, aucune innovation de décarbonation ne semble réellement s’imposer. Les armateurs hésitent donc à lancer le renouvellement de leur flotte. En retour, les responsables de ports et de terminaux ne savent pas s’ils doivent investir dans de nouvelles infrastructures d'équipement. Cette incertitude rallonge les délais d’investissement et donc l’avancement vers les objectifs de l’OMI. Cependant, l’atteinte des objectifs de neutralité ne se fera pas sans la collaboration de toutes les parties prenantes du secteur (transporteurs, autorités portuaires, constructeurs de navires, chargeurs, investisseurs, producteurs d’énergie et distributeurs). 

Cependant, il est probable que l'innovation, seule, ne suffira pas, et devra s’accompagner d’une réduction du trafic, ce qui suppose le recours à des productions plus locales, et plus de sobriété dans nos habitudes de consommation, soit un véritable changement de société.. 

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